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Hilary Hahn & Hauschka

by Wyndham Wallace
Traduction:  Josée Bégaud.

C’est le musicien et conteur folk Tom Brosseau qui le premier a semé l’idée du premier album commun de Hilary Hahn et de Hauschka, Silfra, encourageant ses amis, la violoniste américaine prodigieusement talentueuse Hahn et le maître allemand du piano préparé Volker Bertelmann, connu des amateurs de musique sous le nom de Hauschka, à explorer leurs réalisations respectives. La période de gestation aura été longue, mais – plus de deux ans plus tard – il n’est guère besoin de bavarder bien longtemps avec Hahn et Hauschka pour s’apercevoir de la véritable passion et de l’enthousiasme inhérents à cet album ambitieux, libre d’esprit et souvent novateur.

Hahn est connue comme l’une des meilleures violonistes au monde, « comptant parmi ces artistes rares qui possèdent à la fois une technique phénoménale et un sens aigu de l’interprétation », selon le site Allmusic.com. Elle a commencé son apprentissage à l’âge de 3 ans, s’est produite avec un orchestre symphonique pour la première fois à 11 ans, a signé un contrat avec Sony Classical à 16 ans, avant d’être élue « Meilleur Jeune Musicien classique » par Time Magazine à l’âge de 21 ans. Si elle s’est très tôt fait un nom comme interprète de certaines des œuvres les plus connues du répertoire classique – elle considère toujours Bach  comme une pierre de touche décisive en ce qui la concerne –, elle n’a jamais craint d’explorer des domaines moins conventionnels, qu’il s’agisse des œuvres de Schoenberg, de bandes-son comme celle du film The Village de M. Night Shyamalan, ou même du groupe texan d’art-rock And You Will Know Us By the Trail Of Dead.

De son côté, Hauschka s’est imposé avec sept albums depuis 2004, en grande partie consacrés au piano préparé. Ce musicien prolifique s’inspire de partisans de cette technique allant d’Éric Satie à John Cage et à des interprètes contemporains comme Max Richter et Yann Tiersen, et son œuvre n’a cessé de se développer depuis ses premières improvisations en solo pour inclure des composantes électroniques. À l’instar de Hahn, Hauschka n’en est pas à sa première collaboration, que ce soit au sein d’ensembles constitués comme Music A.M. (où il s’associe à son compatriote allemand Stefan Schneider et à Luke Sutherland, romancier et ancien leader du groupe Long Fin Killie), ou lors d’enregistrements aux côtés de membres de groupes reconnus comme Calexico et múm, qui ont tous deux participé à son dernier album en solo, Salon Des Amateurs.

En matière de collaboration, Hahn et Hauschka ont donc une philosophie similaire. Pour Silfra, l’improvisation était le fondement de leur collaboration, qu’ils aient échangé des fichiers par Internet ou des idées en studio de répétition, où ils se retrouvaient chaque fois qu’ils le pouvaient. Ils n’avaient guère d’objectifs précis, et certainement aucune esthétique préconçue, choisissant délibérément d’arriver au studio d’enregistrement sans rien d’écrit. Ils y ont travaillé avec Valgeir Sigurðsson, producteur, compositeur et musicien islandais dont le label Bedroom Community a contribué à faire connaître dans le monde entier des artistes comme Ben Frost ou Nico Muhly. Son studio clair et spacieux de Greenhouse, près de Reykjavik, s’est révélé un cadre parfait, et pendant dix jours Hahn et Hauschka ont travaillé avec lui comme coproducteur et ingénieur du son ; le cheminement a été source d’inspiration, naturel, et souvent si prenant qu’ils ne sortaient plus de l’album même quand ils ne jouaient pas tellement ils étaient concentrés, comme l’explique Hahn.

Que le piano préparé et le violon puissent se révéler si parfaitement adaptés l’un à l’autre sur le plan sonore est assurément une indication du courant musical qui s’est établi entre eux grâce à leur travail préparatoire et au cadre. La première pièce de Silfra est à juste titre intitulée « Stillness » (Immobilité) – la plupart des plages de cet album ont des titres plus ou moins synonymes de la musique qu’elles donnent à entendre – avant l’explosion d’énergie incontrôlable de « Bounce Bounce » (Rebond), où le piano de Hauschka s’abat bruyamment derrière le jeu virtuose de Hahn. (« J’adore ce que Volker fait à ces pianos », dit-elle avec un grand sourire.) « Halo of Honey » (Halo de miel) est aussi paisible que tout ce que Brian Eno a jamais créé — s’il avait travaillé avec des instruments à cordes à créer de la musique de chambre plutôt qu’avec des instruments électroniques à créer de la musique d’ambiance. « Ashes » (Cendres) évoque l’atmosphère de certaines des compositions d’Arvo Pärt de la fin des années 1970, et « Draw A Map » (Dessiner une carte) met en valeur leur côté ludique. « Clock Winder »  (Remontoir d’horloge) est par  ailleurs une miniature pleine d’ambiance dotée d’un charme de boîte à musique, tandis que « Krakow » (Cracovie) est d’une simplicité romantique profondément émouvante. C’est cependant « Godot », une pièce de 12 minutes, que les deux musiciens reconnaissent comme étant leur préférée ; pour Hauschka, elle a su restituer en partie l’esprit islandais qu’ils ont ressenti pendant l’enregistrement, tandis que Hahn apprécie particulièrement l’espace qu’ils se sont donné mutuellement.

Silfra fonctionne toutefois comme une entité autonome, plus grande que les parties qui la composent. Comme le suggère Hahn, « à chaque seconde de cet album, vous entendez exactement ce qui s’est développé dès l’instant où l’idée a vu le jour. Réaliser ce disque a été si gratifiant que l’écouter me rend un peu nostalgique ».

Elle ne sera pas la seule. Aussi surprenant que cela puisse paraître, Silfra pourrait bien s’avérer l’un des albums les plus originaux et les plus inventifs de l’année. Rien d’étonnant à ce que nos deux artistes paraissent si heureux.


by Sylvia Prahl
Traduction : Jean-Claude Poyet

Silfra est le fruit de plus de deux années de collaboration organique entre la violoniste Hilary Hahn, originaire de Baltimore, et le pianiste Hauschka, qui réside à Dusseldorf. C’est par l’intermédiaire du musicien de folk américain Tom Brosseau que les deux artistes se sont rencontrés. Hauschka et Brosseau, qui enregistrent pour le même label, avaient déjà joué ensemble à maintes reprises aux USA, et Hilary Hahn avait participé à l’album Grand Forks de Brosseau. En octobre 2008, lorsque la violoniste donne un concert à Dusseldorf, Brosseau s’arrange pour que Hauschka y assiste. C’est l’occasion d’une première rencontre, mais personne ne songe encore à une collaboration. L’étincelle jaillit quelques semaines plus tard quand Hauschka donne un concert avec Brousseau et le Magik*Magik Orchestra à l’« Hotel Utah » de San Francisco et que Hilary Hahn se joint à eux pour un dernier morceau improvisé. L’idée est née, mais il faudra encore plusieurs semaines avant que Hahn et Hauschka ne s’accordent sur la forme que doit prendre leur collaboration. Une chose est claire : ces deux musiciens d’exception veulent faire du neuf, un projet qui permette à chacun de conserver ses qualités de virtuoses et d’explorer des territoires inconnus. Plutôt que de se fixer un objectif précis, Hahn et Hauschka préfèrent donc centrer le projet autour de l’exploration et de l’expérimentation. Ils disent avoir été poussés dans ce choix par leur curiosité d’artistes et par une fascination mutuelle pour le travail de l’autre.

Hahn et Hauschka se retrouvent donc début 2009 pour les premières répétitions – mais pas des répétitions au sens classique de terme : ils improvisent, apprennent à se connaître musicalement et à apprécier leurs atouts respectifs. Le travail se poursuit même quand ils séjournent dans des villes différentes : ils s’envoient des fichiers audio, improvisent sur les morceaux, leur ajoutent des pistes sonores. Un seul témoignage de leur collaboration est publié : le solo de violon que Hahn a enregistré sur Girls, un des titres de l’album Salon des Amateurs de Hauschka, paru en 2011.

L’improvisation joue un rôle primordial dans la démarche de Hauschka, qui introduit des objets métalliques, des pinces et des bandes de divers matériaux entre les cordes de son piano pour en modifier la dynamique et tirer de nouveaux sons de l’instrument. De son côté, Hilary Hahn puise dans l’improvisation de nouvelles idées pour ses interprétations d’œuvres écrites.

Début 2011, ils envisagent pour la première fois d’enregistrer ensemble. Là encore, ils ne veulent rien fixer d’avance. Personne, ni leurs collègues ni leurs maisons de disque, ne sont au courant de ce qui se prépare. L’enregistrement devra se dérouler en toute liberté, sans aucune pression de l’extérieur. Hahn et Hauschka se retrouvent en mai 2011 à l’excellent Greenhouse-Studio de Reykjavik, en Islande. Sans partitions ni rien de ce qu’ils ont préparé jusque-là : tout sera improvisé.

Seule exception : la ligne de piano de Krakow. Hauschka l’a envoyée auparavant à Hahn pour qu’elle puisse improviser dessus. Mais le morceau plaît tellement à la violoniste qu’elle improvisera une nouvelle fois pendant l’enregistrement. Krakow est également le seul morceau de l’album pour lequel Hauschka n’a pas préparé son piano.

Cette manière de faire inhabituelle – en général, les musiciens vont en studio pour y enregistrer les morceaux qu’ils ont préparés – a permis à nos deux artistes de capturer l’atmosphère qui régnait au studio pendant l’enregistrement et de livrer spontanément leurs impressions. Le producteur Valgeir Sigurdsson, habitué à travailler avec des musiciens aussi différents que Björk ou Bonnie Prince Billie, a bien compris ce qui se passait et s’est volontairement tenu en retrait. Il se dégage de la musique une énergie positive presque palpable. À la fois pleine de gravité et d’une lumineuse légèreté, elle reflète l’osmose parfaite entre les deux partenaires. Les morceaux portent des titres qui éveillent de multiples associations. Godot, le plus long de l’album, est habité par une douce inquiétude. Hauschka tire de son piano préparé un battement métallique, le loope et joue ensuite sur les intensités ; au-dessus de ce tapis sonore de cordes en vibration, mystérieusement pressant, le violon planant de Hahn parle de l’impondérabilité de l’être.

La beauté froide de North Atlantic évoque le ciel immense et transparent d’un paysage nordique. Tandis que le piano égrène des notes semblables à des gouttes d’eau gelées, les sonorités chaleureuses du violon suggèrent la fonte des glaces.

Avec ses brusques changements de rythme et ses cordes de violon grattées, Draw a Map a l’air d’un fouillis ordonné qui fonctionne, entre autres, selon la technique du patron de couture. Dans Ashes, le dialogue entre des lignes mélodiques soutenues et des interpolations rythmiques apporte une touche de confiance à l’atmosphère générale de tristesse mélancolique.

Pour Halo of Honey, le violon de Hahn se métamorphose par moment en scie musicale de grand luxe, tandis que Hauschka tire de son instrument des sons qui font penser à des portes rouillées. Par sa simplicité et son calme, ce morceau s’écoute néanmoins comme une saga sous-marine.

Le titre de l’album, Silfra, renvoie à l’image que les deux artistes ont d’eux-mêmes. La faille de Silfra se situe à la jonction entre les plaques tectoniques nord-américaine et eurasienne. Dans leur travail de collaboration, Hahn et Hauschka n’ont pas visé une fusion : ils se sont avancés respectueusement l’un vers l’autre. Et ils ont offert au monde une magnifique heure de musique.